CJIP McDonald's : une évolution notable adaptée au contentieux pénal fiscal

 

Le 16 juin 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a validé une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue entre le Parquet national financier (PNF) et plusieurs sociétés françaises du groupe McDonald's. La somme des droits et pénalités dus au titre du règlement d'ensemble et de l'amende d'intérêt public s'élèvent à un total de 1 245 624 269 euros, un record en matière de fraude fiscale.

Cette mesure, qui s’inscrit dans la lignée d’autres conventions signées par le PNF (Bank of China, Google, HSBC Private Bank SA ou encore JP Morgan Chase) témoigne d’une recherche d’efficacité et de clarté de l’instrument répressif.

Malgré les critiques dont elle fait régulièrement l’objet, la « CJIP fiscale » marque un changement de paradigme dans le traitement du contentieux fiscal, et témoigne d’une volonté d’adaptation aux standards internationaux en matière d’infractions complexes.

Toutefois, si le recours à la CJIP présente pour chacune des parties à l’accord des vertus manifestes, elle n’est pour autant pas sans susciter quelques réserves, notamment s’agissant des droits de la défense.

Le contexte de l’adoption d’une CJIP fiscale « McDonald’s »

Antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, le monopole conféré à la commission des infractions fiscales privait le ministère public de l’opportunité des poursuites en soumettant leur engagement à l’autorisation préalable de l’administration fiscale.

La conclusion d’une transaction fiscale négociée et conclue avec l’administration fiscale en contrepartie du paiement des pénalités fiscales permettait dans certains cas d’éviter la mise en mouvement de toute action judiciaire ainsi que des condamnations pénales y afférentes.

Le ministère public se voyait quant à lui reprocher de « contourner » le verrou en poursuivant les faits en cause sur le fondement du blanchiment de fraude fiscale.

Le mécanisme désormais envisagé par la CJIP permet de conclure une transaction (tant avec le parquet qu’avec l’administration fiscale) aux termes de laquelle la personne morale mise en cause s’engage à verser une amende d'intérêt public en contrepartie de l’extinction de l’action publique, sans que sa culpabilité ne soit reconnue, après homologation de l’accord par le Tribunal.

C’est cet accord qui a été conclu entre différentes entités françaises et luxembourgeoise du groupe Mcdonald’s.

Ouverte à la suite de plaintes déposées par le comité d’entreprise Mcdonald’s ouest parisien et la CGT Mcdonald’s Ile-de-France, l’enquête préliminaire dirigée par le Parquet national financier s’est vue complétée, le 25 novembre 2016, par les plaintes déposées par la Direction générale des finances publiques (DGFIP) reprochant à plusieurs sociétés du groupe McDonald’s d’établir des déclarations minorées de résultat depuis 2009.

Le schéma reproché à McDonald's par les autorités de poursuite aurait consisté à « absorber » une partie des marges dégagées par les entités françaises, au profit d’entités étrangères diminuant ainsi artificiellement les bénéfices dégagés, et aux termes de la thèse de l’accusation éluder le paiement des impôts en France.

Aux termes de la CJIP, les faits reprochés aux entités françaises et luxembourgeoise (McDonald's France, McDonald's System of France LLC et MCD Luxembourg Real Estate SARL) étaient susceptibles de recevoir la qualification de fraude fiscale pour la période allant de 2009 à 2012, et fraude fiscale aggravée pour la période allant de 2012 à 2020.

Les faits ainsi reprochés étaient à juste titre contestés par les mises en cause, lesquelles ont néanmoins préféré conclure un accord n’emportant pas reconnaissance de culpabilité.

L’intérêt de la mesure et les réserves qu’elle suscite

L’intérêt fondamental de la CJIP pour chacune des parties réside dans l’évacuation de l’aléa judiciaire et des difficultés y afférentes.

En effet, les questions techniques autour de la réalité et de la matérialité d’une infraction complexe, telle que la fraude fiscale et les délits connexes (dont la démonstration pèse en principe sur le ministère public), nourrissent des débats susceptibles d’alourdir des procédures déjà longues et contraignantes pour chacune des parties.

Le montant de l'amende, fruit « d’échanges » entre les parties, est calculé sur des bases et des critères objectifs permettant d’éviter le risque de condamnation à des montants excessifs jusqu’à lors parfois exigés par le parquet ; la rationalité de l’amende d’un côté et la certitude de la perception de cette dernière de l’autre constituent à l’évidence un gage de clarté et d’acceptabilité de la mesure.

En outre, la célérité du mécanisme envisagé par la CJIP ainsi que l’absence de reconnaissance de culpabilité garantis par l’accord, permettent de maîtriser l’impact réputationnel pour la personne morale, objet des poursuites.

La CJIP est proposée à l’issue d’un choix de « raison » et non d’émotion.

Cette mesure suscite toutefois quelques réserves quant à son incidence sur la situation des autres justiciables objet de poursuites ainsi que sur son articulation à l’international.

En effet, s’agissant des personnes physiques, la seule voie de justice négociée qui leur est à ce jour ouverte est la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Il résulte de l’existence de ces deux mécanismes parallèles des disparités entre le sort de la personne morale qui conclut une CJIP et celui de son dirigeant qui fait l’objet d’une condamnation pénale.

Outre cette disparité de traitement, l’affaire dite « Bolloré » permet d’entrevoir les difficultés d’articulation entre la CJIP et la CRPC.

En dépit de la validation d’une CJIP par le tribunal correctionnel de Paris, ce dernier a refusé d’homologuer les accords trouvés entre les prévenus personnes physiques et le PNF.

De même aucune certitude n’existe quant à la valeur d’une CJIP s’agissant de l’autorité de la chose jugée devant des instances étrangères.

Ces réserves semblent avoir été pour partie prises en compte dans le cadre du projet d’amendement de la loi Sapin II (loi « Sapin III »), donnant lieu à une réflexion sur son extension aux personnes physiques ainsi qu’à une meilleure articulation entre la CJIP et la comparution immédiate sur reconnaissance de culpabilité.