Après plus de vingt années de procédure, et malgré de nombreuses décisions rendues par les juridictions du fond et d’appel, la Cour de cassation s’est obstinée à confirmer sa jurisprudence dans l’affaire dite de la chaufferie de La Défense suscitant de vives réactions allant jusqu’à qualifier cette affaire de « fiasco judiciaire »[1]

 

Le 9 novembre 2022, la Haute Cour jugeait que « le droit à être jugé dans un délai raisonnable ne protège que les seuls intérêts des personnes concernées par la procédure en cours » et en déduit que sa méconnaissance ne saurait entraîner à elle seule la violation ni d’une règle d’ordre public, ni des droits de la défense en tant que tels.

 

L’arrêt rompt avec les décisions adoptées en première instance[2] et en appel[3] lesquelles avaient courageusement (partiellement) annulé la procédure estimant que les droits de la défense avaient nécessairement été affectés par le délai excessif de la procédure et s’inscrivant ainsi dans une tendance prétorienne « d’obtenir la possibilité de s’abstenir de consommer une violation des droits de la défense »[4].

 

Malgré la décision rendue par la Haute Cour, des évolutions récentes tendent à encadrer la durée des procédures pénales (I) dont le caractère parfois déraisonnable est néanmoins susceptible d’entraîner des sanctions (II).

 

  1. La récente consécration de la notion de durée raisonnable des procédures pénales

 

En 2014, dans son rapport sur la procédure pénale sollicité par le Garde des Sceaux, Monsieur Jacques Beaume, alors Procureur général près la cour d’appel de Lyon, préconisait l’instauration d’un délai maximal d’encadrement de l’enquête préliminaire notamment pour instaurer « une fenêtre contradictoire ».[5]

 

La procédure ouverte sous le régime dit de la préliminaire devait s’aligner sur les exigences européennes en matière de délai.

 

C’est donc logiquement que le Parlement a définitivement a adopté la Loi pour la Confiance dans l’institution judiciaire aux termes de laquelle la durée de l’enquête préliminaire est limitée à deux ans, à compter du premier acte d’enquête prolongeable une fois pour une durée maximale d’un an, sur autorisation écrite et motivée du Procureur de la République.[6]

 

La même logique s’applique lors de l’instruction, le délai raisonnable s'appréciant au regard de certains critères liés aux circonstances telles que :

 

« La gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, [...] la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et [...] l’exercice des droits de la défense ».[7] 

 

En outre, cet article prévoit un délai butoir de deux ans à compter de l’ouverture de l’information, à l’issue duquel le juge d’instruction devra rendre une ordonnance motivée expliquant les raisons de la durée de la procédure ainsi que les issues envisagées.

 

A l’échelle européenne, le droit à être jugé dans un délai raisonnable est également garanti à l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) qui en fait l’un élément essentiel du droit à un procès équitable, le juge devant prendre en compte quatre critères analysés in concreto face aux éventuelles atteintes portées au droit à être jugé dans un délai raisonnable:

 

-       la complexité de l’affaire,

-       le comportement de l’intéressé,

-       le comportement des autorités nationales compétentes et

-       l’enjeu de l’affaire pour l’intéressé. [8]

 

Dans l’affaire de la chaufferie de La Défense, la procédure préalable au jugement s’est décomposée en une enquête administrative, une enquête préliminaire et une information judiciaire. Pas moins de dix-neuf ans et sept mois se sont écoulés entre l'ouverture de l'enquête de police et l’introduction des débats de première instance.

 

Si la Cour de cassation juge de manière constante que « le dépassement du délai raisonnable défini à l’article 6§1 de la CESDH est sans incidence sur la validité de la procédure » ne pouvant conduire à son annulation ni à l’extinction de l’action publique[9], il n’en demeure pas moins que le droit de tout accusé de voir sa cause jugée par un tribunal dans un délai raisonnable permet de lui éviter de rester dans l’incertitude de la solution réservée à l’accusation qui sera portée contre lui.[10]

 

  1. Les sanctions de la violation de la durée déraisonnable en matière pénale

 

Dans l’affaire de la chaufferie de La Défense, tant le tribunal correctionnel que la cour sanctionnent le dépassement du délai raisonnable par l’annulation (partielle) de la procédure.

 

Face à cet enjeu, le législateur tente de remédier à l’écart entre la promotion des droits de la défense des droits et leur effectivité.

 

Le nouvel article 75-3 du CPP prévoit que « tout acte d’enquête intervenant après l’expiration de ces délais (deux ou trois ans) est nul (…) ».

Ainsi, pour les enquêtes ouvertes à partir du 24 décembre 2021, la sanction d’une procédure s’étendant au-delà d’un délai déraisonnable est claire peu importe que les actes soient réguliers ; d’autre part, outre les nouvelles dispositions de la loi confiance dans l’institution judiciaire, les parties disposent de la double garantie, consistant, en cours de procédure, à demander la clôture de l’information, ou, une fois la procédure clôturée, à demander réparation à l’Etat.

 

La Cour rappelle ainsi que le justiciable dispose du droit à une action en responsabilité pour faute lourde contre l'État en raison du dysfonctionnement du service public de la justice, sur le fondement de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire[11] ; cette démarche quoique que symboliquement intéressante, se révèle en pratique moins réalisable (engagement de responsabilité en cas de faute lourde difficilement retenue)[12]  

 

Si la décision ici analysé permettra pour certains d’éviter « l’anéantissement d’un grand nombre de procédures »[13] qui n’auraient pas été menées avec la célérité attendue, le débat sur la sanction du défaut de délai raisonnable en matière pénale reste ouvert.

 

 


[1] « Chaufferie de la Défense : quand des magistrats détaillent un fiasco judiciaire », Le Monde, 21 septembre 2021

[2] TJ Nanterre, 11 janv. 2021, n° 01194045395

[3] CA Versailles, 15 sept. 2021, n° 21/3005

[4] Pierre-Antoine Souchard, « Chaufferie de la Défense : renvoi de l’affaire en plénière de chambre », Dalloz actualité, 12 avril 2022

[5] Rapport Beaume, page 38 « La mission considère que, avant même toute audition d’un « suspect », en garde à vue ou en audition libre145, il importe d’encadrer l’enquête préliminaire, au double titre, d’un meilleur contrôle du ministère public sur la diligence de la police judiciaire146, mais aussi d’un examen périodique et obligé de la nécessité d’ouvrir une « fenêtre contradictoire ».

[6] article 75-3 du code de procédure pénale.

[7] larticle 175-2 du code de procédure pénale

[8]  CEDH, Guide sur l’article 6 de la Convention – Droit à un procès équitable (volet pénal), n° 328 p. 67

[9] Crim., 3 février 1993, n°92-83.443 ; AP, 4 juin 2021, n°21-81.656

[10] CEDH, 8 juillet 2008, Kart c/ Turquie, n°8917/05, §68

[11]  Voir Crim. 24 avr. 2013, n° 12-82.863

[12] Crim., 1ère, 13 mars 2007, n°06-13.040

[13] Jean Pradel, « Justice : une procédure ne peut être annulée pour délai excessif », Le Monde, 9 novembre 2022